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convictions religieuses | Cas d'écoles
L'école, mauvaise élève sur la question religieuse ?
© Armando Arauz

Amélie Puzenat est chercheuse à l’Université catholique de l’Ouest. Elle a rédigé une thèse intitulée : « Conversions à l’islam. Unions et séparations » en 2015. Dans le dernier chapitre, elle s’intéresse aux alternatives à l’école de la République et notamment celle de l’instruction en famille.

Le choix d’une scolarisation hors de l’école publique conventionnelle peut-il être lié à des raisons confessionnelles ? L’école publique est-elle toujours adaptée à la pratique religieuse ou aux valeurs que les parents souhaitent transmettre à leurs enfants ? Toutes les religions peuvent-elles cohabiter sereinement dans les établissements publics ?  Cas d’écoles s’est posé ces questions.

Qui dit « école de la République française », dit « principe de laïcité ». Ce principe, décrit par la Charte de la laïcité, rappelle et transmet les règles favorisant le vivre-ensemble, l’accès à une culture commune et partagée, la tolérance, le respect et la compréhension de l’autre, « la liberté de croire ou de ne pas croire ». Mais qui dit «laïcité», dit aussi interprétations diverses de cette notion. Pour répondre à ses interrogations, Cas d’écoles a rencontré  Coraline, Anaïs, Dounia et Célia (les prénoms ont été changés). Toutes les quatre croyantes, elles ont partagé leur vécu personnel quant à leur décision de retirer leurs enfants de l’école publique (Coraline, Anaïs et Dounia étant mères de famille) et quant à leur scolarité hors des murs de l’école publique (Célia étant élève en Terminale Economique et social via le CNED).

La religion : un facteur parmi d’autres dans le choix de l’instruction en famille

Amélie Puzenat, chercheuse en sociologie, a travaillé sur l’instruction en famille des ménages religieux, et notamment musulmans. Selon elle, « le facteur religieux est vraiment à prendre en considération » dans le choix de l’école à la maison. Mais pas seulement : « il y a une critique du système scolaire en tant que tel et plus largement de l’école publique ». Amélie Puzenat explique que ces critiques « sont effectivement religieuses, dues à la non-acceptation de la présence musulmane au sein de l’école française ». Parmi cette non-acceptation, on retrouve l’interdiction de signes religieux ostensibles ou encore les questions d’alimentation à la cantine. Toutefois, les critiques ne se concentrent pas uniquement autour de la religion. Parmi les motivations qui mènent vers l’instruction en famille, les volontés de respecter le rythme de l’enfant, de mettre en place une pédagogie différenciée et individualisée et de ne pas imposer les connaissances par le haut apparaissent souvent. Des idées également présentes chez les familles non confessionnelles ayant fait ce choix.

 © Deddy Yoga Pratama 

C’est le cas de Coraline, cette musulmane au foyer de 33 ans et mère de quatre enfants âgés de 5 à 12 ans. Elle ne les a jamais scolarisés. « Au départ, c’était par rapport à la maternelle. Je trouvais que ma fille était trop petite et je ne travaillais pas, donc je ne voyais pas l’utilité de la mettre si longtemps séparée de moi. J’avais du mal à me détacher d’elle. Elle dormait beaucoup, ça m’inquiétait un peu », explique t-elle. Le besoin de s’adapter au rythme de l’enfant et de se rendre disponible pour lui est aussi une idée que l’on retrouve chez Anaïs, mère au foyer catholique. Son fils a un an et déjà, elle exprime le souhait réfléchi de pratiquer l’instruction en famille. « Ca me rend plus disponible pour mon fiston et me permet d’être plus à son écoute. J’ai le sentiment que l’on passe plus de temps en famille, on apprend à mieux se connaître ». Respecter le rythme de son enfant est également une considération majeure pour cette mère au foyer : « je me suis arrêtée de travailler pour être avec lui à la maison. Je suis fière de ne pas avoir à le réveiller le matin. En plus, rester sept ou huit heures assis sur une chaise, parfois lorsqu’ils sont 30 dans une classe, sans pouvoir aller aux toilettes en dehors des récréations, je ne trouve pas ça adapté ».

Autre critique de ces deux mères de famille envers l’école : le système de notation. Au début de sa pratique, Coraline a hésité à s’aider du CNED mais a finalement opté pour une pédagogie d’inspiration Montessori : « j’avais du mal avec l’absence de lien social entre enseignants et élèves dans les cours en ligne et je ne suis pas pour le système de notation ». Quant à Anaïs, elle a choisi une méthode ludique où les jeux prennent une place importante.

Pour certaines familles religieuses, un autre facteur détermine le choix de l’instruction en famille : l’aspect géographique. Comme le note Amélie Puzenat, « la plupart du temps, les écoles proches des lieux de vie [des] familles musulmanes sont classées Réseau d’éducation prioritaire (REP) avec un taux d’échec scolaire élevé ». Cette situation géographique a été déterminante pour Célia et ses parents. Cette jeune musulmane de 17 ans, scolarisée via le CNED en Terminale ES, a longtemps suivi l’instruction en famille. Elle explique : « Plus jeune, j’ai été inscrite dans différentes écoles REP. Mes parents constataient que mon niveau scolaire était assez bas et ont donc pris la décision de me déscolariser afin de me créer un programme personnalisé ».

A l’époque, la raison concernait vraiment mon niveau scolaire. Puis, j’ai grandi et mes convictions religieuses n’étaient pas compatibles avec un système scolaire normal. J’ai choisi de porter le voile et malheureusement, son port est interdit dans les établissements.

Célia

Parmi les familles rencontrées, l’aspect confessionnel ne semble pas être un facteur plus important que les autres dans le choix de la scolarité. Cependant, il peut se mêler à d’autres idéologies, qui font la spécificité de ces familles et qui les confortent dans leur choix. Pour Célia, l’impact du religieux dans son instruction intervient plus tard. « A l’époque, la raison concernait vraiment mon niveau scolaire. Puis, j’ai grandi et mes convictions religieuses n’étaient pas compatibles avec un système scolaire normal. J’ai choisi de porter le voile et malheureusement, son port est interdit dans les établissements ». Pour d’autres, « l’instruction en famille est aussi un moyen d’exercer la transmission jusqu’au bout. Il y a une crainte de ce qui va être dit aux enfants quand ça ne correspond pas aux valeurs et une crainte des fréquentations », explique Amélie Puzenat. Anaïs l’admet : « il y a des choses dans ce que propose l’école qui, en tant que catholique, me dérangent ».  Parmi ces « choses », « la théorie du genre » l’inquiète et lui pose un « problème de conscience personnelle et religieuse », notamment pour les sujets liés la sexualité ou à la transexualité. Elle aimerait aussi que la question de la sexualité soit abordée « d’une manière plus appropriée avec son fils, quand il se posera les questions ». A cela s’ajoute une crainte sur la possible circulation d’images pornographiques dans la cour de récréation.

Coraline, musulmane convertie, est claire : la religion a peu déterminé son choix d’instruire ses enfants à la maison. Mais elle reconnait que « le système actuel n’est pas très bienveillant par rapport à notre religion. Même si ce n’est pas la raison pour laquelle mes enfants ont école à la maison, c’est vrai qu’il y a des bénéfices. Mais au départ, ça n’a pas de lien ». Son cheminement personnel, lorsqu’elle était une jeune adulte, lui a fait prendre conscience des discriminations pouvant être favorisées par le système scolaire et universitaire public français. Un propos qui n’est pas sans rappeler d’autres explications dans le choix de l’école autrement.

 

Sentiments d’injustice et d’intolérance : deux facteurs potentiels du retrait de l’école publique

Dounia, de confession musulmane, n’a pas choisi l’instruction en famille. Malgré tout, l’école publique ne la satisfaisait pas, « tant pour les apprentissages que pour les valeurs transmises aux enfants ». Si son aîné n’a pas voulu quitter le collège pour rester avec ses amis, elle a choisi de scolariser ses deux autres enfants – le quatrième n’ayant qu’un an et demie – dans une école privée catholique. L’intérêt ? « Replacer l’enfant au centre des apprentissages, la bienveillance au coeur du projet éducatif, transmettre le respect et surtout la tolérance. » Ce n’est pas au hasard que Dounia a choisi une école catholique. Il était important pour elle que ses enfants apprennent la religion des autres, qu’ils développent un grand esprit de tolérance, loin des préjugés, pour ne pas avoir peur des autres et des différences. 

C’est bien qu’il y ait des enfants musulmans dans une école catholique tout comme des enfants catholiques dans une école musulmane. Le vivre-ensemble, ça s’apprend. Dès le plus jeune âge. Si on leur apprend à aller vers des gens qui sont leurs semblables, ils n’iront pas vers les autres.

Dounia

Cette tolérance, elle ne la retrouvait pas au sein des établissements publics. Sans qu’elle n’ait vécu personnellement d’injustices marquantes, elle se souvient des « mamans musulmanes discriminées car elles portaient le voile et ne pouvaient donc pas assister aux ateliers en classe ». Même si la question ne se posait pas à l’époque pour elle, son fils étant trop jeune pour les ateliers en classe, ce sont des décisions comme celles-ci qui, selon elle, « poussent les gens à se replier vers le communautarisme ». Elle explique que beaucoup de mères ayant été confrontées à ce problème ont, par la suite, retiré leurs enfants de l’école publique pour les inscrire dans des écoles privées, catholiques ou musulmanes.

Mais ce sentiment d’injustice et d’intolérance peut être avant tout vécu par les élèves eux-mêmes. Une juriste du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) – qui préfère rester anonyme -, insiste sur un facteur explicatif plausible de la déscolarisation, qu’elle cherche à faire reconnaître : la phobie scolaire. Elle explique que cette appréhension vis-à-vis de l’accès à l’éducation s’est développée à la suite de la loi du 15 mars 2004.

 © Dev

Instantanément, des jeunes filles ont quitté les établissements publics pour pouvoir continuer à porter leur foulard, en se tournant vers l’instruction en famille par exemple. Désormais, à cause de la contrainte, certaines jeunes filles l’enlèvent quand elles vont étudier. Mais quelque soit leur décision, cette loi a eu des répercussions sur les comportements des autres élèves et professeurs selon cette juriste.

Un processus de fichage s’est développé. Désormais, toute tenue portée par un ou une élève musulman.e, si sa confession est connue des autres élèves et professeurs, peut être considérée comme ostentatoire. Une connotation religieuse peut être donnée à une jupe longue ou un habillement large. Alors qu’une même tenue pourrait être portée par un autre élève, sans qu’aucune connotation religieuse ne soit soulignée. La couleur noire, si elle est majoritaire, peut être associée à l’islam également, et à la radicalisation. Pourtant, le noir n’est pas la couleur de l’islam. Beaucoup de jeunes aiment porter du noir.

Juriste du Collectif contre l'islamophobie en France

Pour le CCIF, ce renforcement des préjugés et des discriminations a pu entraîner un «climat d’insécurité » pour certains élèves. Conséquence : les parents n’ont parfois pas eu d’autres choix que de recréer un environnement de sérénité et de confiance pour eux. Notamment par l’apprentissage en famille.

Eva Battut et Marine Clerc

* Nous tenons à souligner le caractère très personnel des témoignages évoqués dans cet article et leur valeur non-exhaustive.

Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » (art. 141-5-1 du Code de l’éducation)