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EPM | Cas d'écoles
Sous les verrous
© Matthew Ansley

Il y a six Etablissements pénitentiaires pour mineurs en France.

Créés en 2007

Auparavant placés systématiquement en quartier pour mineurs en établissement pénitentiaire, les jeunes peuvent  être incarcérés depuis 2007 dans un établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM).

D’après le ministère de la justice, environ 3300 mineurs dorment en prison chaque année en France. Pourtant, un enseignement pédagogique leur est délivré. Maryse Coste, directrice de l’Unité pédagogique régionale de Toulouse-Montpellier, est responsable de l’enseignement en milieu pénitentiaire dans la région Occitanie. Elle explique, pour Cas d’Écoles, les conditions d’enseignement pour les mineurs en détention.

Quel est le profil des jeunes incarcérés dans les différents établissements pénitentiaires ?

Nos jeunes sont des jeunes délinquants ultra sensibles et très écorchés par la vie. Ils ont majoritairement entre 16 et 18 ans (ndlr : les mineurs peuvent être incarcérés à partir de 13 ans, même si ces décisions sont très rares). Ce sont des jeunes Français ou des jeunes issus de l’immigration, que l’on appelle les mineurs non accompagnés, qui viennent des différents mouvements migratoires ou de trafics mafieux qui s’en servent pour commettre des délits sur le territoire français.

Quand les mineurs sont incarcérés, c’est qu’ils ont été au bout de leurs processus personnels de délinquance et que les processus d’accompagnement éducatif sont également allés au bout. Beaucoup sont orphelins, séparés de leurs parents ou issus d’une famille monoparentale. Il était déjà compliqué de les gérer dans la famille et ils tournent en plus entre les structures, les foyers, la famille avec des mesures éducatives ou judiciaires, les mesures éducatives judiciaires, les centres éducatifs fermés, …

Ce sont généralement, depuis plusieurs années, de très grands décrocheurs scolaires. Ils sont souvent allés à l’école par intermittence et ont, pour la plupart, quitté l’école depuis un ou deux ans lorsqu’ils arrivent dans les établissements pénitentiaires. Ces jeunes sont précaires scolairement mais aussi sur le plan de la santé, notamment psychologique. Ils sont également souvent cassés par les drogues et des mélanges.

Quelle est leur relation à l’école et leur comportement en classe ?

Généralement, ils ont une mauvaise image de l’école et l’école a une mauvaise image d’eux. Quand, à l’extérieur, en commettant des délits, ils  gagnent en une semaine ou en une journée plus que leur professeur en un mois, ils ne sont pas vraiment encouragés à prendre l’école au sérieux. A l’intérieur pourtant il y a un excellent rapport avec les professeurs. Le respect ne se négocie pas, il ne peut y avoir que des relations respectueuses. De temps à autre, il faut les recadrer. Mais les mineurs n’ont pas le choix de l’école et doivent aller en cours jusqu’à 18 ans (ndlr : contre 16 ans dans les écoles “traditionnelles”). Pour eux, la notion d’obligation et de dynamique reste tout de même compliquée. Les professeurs se retrouvent toujours seuls avec les élèves, sans surveillants ni vidéos. Il y a un système de bouton d’appel d’urgence dans la classe en cas de problème de sécurité. Mais les incidents sont très rares et ils sont toujours traités avec la plus grande sévérité. Les professeurs trouvent sans doute ici un sens profond à ce qui était leur engagement premier dans l’Education nationale.

Qui sont les enseignants et quelles sont les raisons pour lesquelles ils ont souhaité intervenir en établissement pénitentiaire ?

La majorité des enseignants sont des professeurs des écoles. Le nombre de professeurs du second degré augmente fortement, car le niveau d’entrée des personnes détenues évolue également.

Maryse Coste est en charge de l’organisation de l’enseignement dans les établissements pénitentiaires de la région Occitanie.

Pour les professeurs, enseigner en prison est un challenge personnel.

Maryse Coste,

directrice de l'Unité Pédagogique Régionale

© Patrick Cole

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des personnes incarcérés sont des mineurs

Le système carcéral pour les mineurs

Lorsque toutes les mesures éducatives ont échoué, le juge peut décider d’envoyer un mineur récidiviste dans le milieu pénitentiaire. Tout d’abord, ils sont accueillis dans les maisons d’arrêt, tant qu’ils ne sont pas jugés. Ils rejoignent ensuite soit un Établissement Pénitentiaire pour Mineurs, des lieux strictement réservés aux mineurs, soit un quartier pour mineur au cœur d’un centre de détention, où une aile leur est réservée.

L’objectif de ces EPM : favoriser la réinsertion des jeunes en mettant l’accent sur l’éducation dans le cadre de l’exécution de leur peine.

Des professeurs vacataires viennent aussi apporter leur partie disciplinaire sur toutes les matières que l’on ne peut pas servir avec nos professeurs permanents et que l’on fait évoluer tous les ans : philosophie, espagnol ou histoire par exemple.

Pour les professeurs, enseigner en prison peut être un challenge personnel. Ils ont envie de renouveler leur carrière par une  expérience auprès de personnes en grande difficulté. C’est une expérience de vie autant qu’une expérience professionnelle. C’est aussi un espace de liberté pédagogique où on peut, en ayant exactement les mêmes objectifs finaux qu’en milieu ordinaire, prendre plus de libertés et d’innovations dans notre programme pédagogique. Les professeurs enseignent d’une manière totalement différente dans un contexte qui ne doit pas faire peur et qui demande une posture déontologique et psychologique sans aucune faille. Cela demande aussi un processus d’encadrement vraiment fort, une bienveillance et de l’expertise.

Comment les enseignants sont-ils recrutés ?

Les professeurs qui viennent en milieu pénitentiaire ont tous demandé à le faire. Ils passent par les canaux habituels de mutation de l’Education nationale, comme pour n’importe quel poste, mais nous les profilons. Une commission de recrutement, formée par l’UPR (Unité pédagogique régionale), le responsable local de l’enseignement, le directeur de la prison et des représentants du corps d’inspection de l’Education nationale, valide la nomination sur plusieurs plans : la capacité pédagogique, la posture et la sécurité de l’enseignant. C’est un recrutement fin ; personne n’est affecté directement. Pendant un an, le professeur est affecté à titre provisoire et suit une formation spécifique d’adaptation à l’emploi. Il y a un accompagnement de l’UPR local pour qu’il puisse s’adapter au contexte. Il faut également un casier judiciaire vierge et suivre les processus, le règlement à l’intérieur et le code de déontologie pénitentiaire.

Quel est l’enseignement fourni aux élèves dans un EPM et comment celui-ci s’organise-t-il ?

Nous enseignons depuis l’apprentissage du français aux jeunes allophones (ndlr : jeunes qui ont comme langue maternelle une langue autre que le français) jusqu’à la préparation des bacs professionnels, Certificats d’aptitude professionnelle, Certifications de formation générale (CFG) ou brevets. Il y a toutes les matières, comme dans les classes ordinaires. Toutes les semaines, le directeur des enseignements, qui est aussi le proviseur adjoint de l’UPR, reçoit les nouveaux arrivants qui sont positionnés dans les différents groupes, selon leur niveau mais aussi selon des règles de sécurité.

Nos groupes de classes sont des groupes à petits effectifs (maximum six élèves dans les EPM), parce que, encore une fois, ce sont des jeunes écorchés, dans des habitudes de violence entre eux mais aussi contre eux-mêmes. De même, pour quelqu’un qui n’a pas été à l’école pendant deux ans, il est compliqué de rester assis 25 heures par semaine dans une salle de classe. Nous devons légalement tendre vers les 18 heures de cours hebdomadaires pour les EPM et vers la douzaine d’heures dans les quartiers pour mineurs. Ils ont en réalité au moins une dizaine d’heures de cours hebdomadaires. Mais malgré tout, avec cette dizaine d’heures, grâce à nos professeurs spécialisés et aux pédagogies mises en place, nous réussissons à les raccrocher et les intéresser, ce qui correspond à nos objectifs.

Dans certains EPM, comme celui de Lavaur, les groupes sont mixtes, même si les filles sont en minorité (ndlr : elles ont été au maximum 6 dans l’EPM de Lavaur pour une population de plus de quarante détenus). La mixité est réelle à l’école et dans les activités, ce qui permet de travailler sur la mixité et l’égalité homme-femme. C’est un thème que j’ai imposé cette année, parce que souvent cela pêchait.

Finalement, notre « mode opératoire » pédagogique est innovant, on n’est pas dans le cadre d’un programme, on est dans le cadre d’un objectif. Remobilisation, accrochage, diplôme, certification de compétences. On est sur des apports de savoirs fondamentaux mais aussi de valeurs citoyennes, de lecture critique du débat et de respect de la parole de l’autre.

Quelles sont les principales difficultés dans l’enseignement en milieu pénitentiaire ?

L’incarcération des mineurs est en augmentation mais reste fluctuante. Les peines sont plutôt courtes. A Lavaur, par exemple, la moitié des détenus est restée moins de deux mois à l’EPM. Ce qui complique énormément l’enseignement. Le turnover est extrêmement important, ce qui fait que nous mettons en place une pédagogie modulaire à entrées et sorties permanentes. Il faut que l’enseignant s’adapte à tous les changements de groupes. Quand les jeunes restent moins de deux mois, mettre en place un programme de scolarité c’est très difficile. Il faut penser à un projet pédagogique global et individuel avec la moitié de vos effectifs qui sort ou reste un ou deux mois. La règle numéro un pour être prof en pénitentiaire c’est l’adaptabilité.

De même, la préparation des diplômes est compliquée quand les jeunes sortent rapidement. Les sujets d’examen sont les mêmes qu’à l’extérieur, dans les mêmes conditions.

Quel est l’objectif de l’enseignement dans les EPM ?

La première idée va être de ré-apprivoiser et de remobiliser les jeunes autour de l’idée de l’enseignement et de la scolarité. C’est quelque chose de très important. Et puis, ce n’est pas parce que l’on est en milieu pénitentiaire que l’on n’a pas les mêmes exigences qu’en milieu ordinaire. Comme partout en France, on attend de nos profs qu’ils continuent à élever le niveau de leurs élèves, à les raccrocher et cela ne marche pas si mal que ça. On essaie d’aller jusqu’à la certification, mais quand les élèves ne restent que quelques semaines, c’est compliqué.

Et donc quand les jeunes sortent, le but est-il de les remettre sur le chemin de l’école ou de leur procurer une formation afin qu’ils puissent travailler ?

Cela dépend de l’âge et du niveau, les deux sont possibles. La loi prévoit la reprise d’études en milieu ordinaire. Mais elle est très compliquée et aléatoire. La solution est individualisée, tout dépend de l’histoire du jeune. Quand les jeunes sortent, on travaille avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) en fonction de leur projet. Il faut tenir compte de l’environnement dont fait partie l’école. L’année dernière, un élève a passé son bac et il a repris des études ensuite, mais cela reste un cas exceptionnel. Généralement, ils s’orientent plus vers la voie professionnelle.

 

Eva Battut et Lucie Lespinasse

Infographie : Lucie Lespinasse

Remobilisation, accrochage, diplôme, certification de compétences. Notre « mode opératoire » pédagogique est un peu innovant.

Maryse Coste,

directrice de l'Unité Pédagogique Régionale