À Toulouse, le campement de gens du voyage de Sesquières alimente tous les préjugés. La venue du camion-école est l’occasion d’aller à la rencontre de ces parents et enfants, parfois à la marge de la société. Un accueil tout en bonne humeur et bienveillance balayant nos propres craintes.
Il est 10 heures, ce jeudi 22 novembre, quand nous arrivons à proximité du terrain omnisports de Sesquières à Toulouse. Sur le parking, un campement de gens du voyage est installé illégalement depuis trois semaines. Dans un froid hivernal, les routes sont désertes. Objectif : trouver le camion-école au milieu de toutes ces caravanes. Le premier homme rencontré, âgé d’une cinquantaine d’années, nous indique le chemin avec un large sourire et un français parfait. Sur une centaine de mètres, chaque personne rencontrée prend le soin de nous saluer. Nous voilà enfin devant deux camions, joliment décorés, faisant office d’antennes scolaires mobiles.
On a plus de préjugés envers les gens du voyage, qu’eux en ont envers nous
Guillaume Chemineau, instituteurNotre caméra attire l’attention. Intrigué par notre présence, un jeune improvise une danse dans une caravane voisine afin de se faire remarquer. Il s’appelle Elie, a douze ans et sa joie de vivre est contagieuse. Il accepte de livrer son ressenti sur l’école: « Je suis les cours par correspondance. Pour moi c’est important, histoire de savoir lire et écrire », explique-t-il, presque étonné de la question. Elie est comme ça, tout ce qui peut lui permettre de se débrouiller a son importance. En lui demandant pourquoi il ne se déplace pas pour aller à l’école, il répond avec une simplicité désarmante : « On change de lieu de vie chaque mois en moyenne donc c’est impossible d’être inscrit régulièrement à une école. En plus, mon futur métier, je le connais déjà. Je vais faire de l’élagage comme mon père, mon oncle et mon grand-frère », précise-t-il avec assurance. Dans la communauté des gens du voyage, la tradition familiale est fondamentale.
Diaporama photo : Une matinée d’école avec le camion
Un endroit chargé de chaleur humaine
Elie est accompagné de Nick, un oncle à la carrure impressionnante. Il tient à ce qu’on le prenne en photo avec son neveu, histoire d’immortaliser le moment.
Dans le même temps, c’est l’heure de la récréation pour les élèves du camion-école. Les enfants retrouvent leurs parents durant quelques instants. Entre eux, le lien est très fort. Chaque minute qu’ils passent en leur absence paraît durer une heure. Au moment de retrouver sa fille, une maman ne veut surtout pas être filmée. Non pas par discrétion mais « parce que je suis en pyjama », dit-elle dans un éclat de rire.
Il est midi, fin de « l’école » pour aujourd’hui. Les deux enseignants accompagnent chaque enfant chez lui. « C’est très important, ça permet de discuter avec les parents, de les sensibiliser, d’installer un climat de confiance », assure Guillaume Chemineau, l’un des instituteurs. À le voir avec les familles, on sent que Guillaume a été adopté au sein de la communauté des gens du voyage. « C’était une de mes appréhensions au départ mais en réalité, ce sont des personnes faciles à vivre. Pour tout vous dire, je crois qu’on a plus de préjugés envers eux, qu’eux en ont envers nous », lance-t-il en conclusion.
Interview avec Guillaume Chemineau, instituteur dans les camions-écoles
Reportage réalisé par Lucie Lespinasse et Mehdi Elouar
Photos : Lucie Lespinasse
Trois questions à :
Virginie Dufournet Coestier – Docteure en Education et Sciences Humaines, elle a rédigé une thèse sur la scolarisation des enfants issus de familles itinérantes et voyageuses (EFIV).
Le rapport à la scolarité dépend des familles, de l’imaginaire personnel, de ce qui est arrivé aux parents.
Virginie Dufournet CoestierCombien d’Enfants issus de Familles Itinérantes et de Voyageurs sont scolarisés ?
C’est difficile d’avoir des chiffres. Au sein de l’Education Nationale, les professionnels ne peuvent pas enregistrer un élève en utilisant une catégorie. Il n’y a pas de système de référencement pour dire que tel enfant est un enfant du voyage donc c’est difficile de savoir combien ils sont. Pour les derniers chiffres en date que j’ai, il y avait environ 100 000 jeunes entre 6 et 16 ans scolarisés par le CNED en 2013.
Comment est perçue l’école chez ces familles-là ?
Il y a autant d’expériences que de groupes familiaux. Dans les entretiens ethnographiques que j’ai pu faire, les personnes que j’ai pu rencontrer comme les jeunes, tous m’ont livré l’intérêt de l’école mais ce qu’ils veulent c’est apprendre comme les autres. Après, j’ai rencontré aussi des familles qui, au final, veulent que leur enfant soit scolarisé dans un dispositif spécifique qui apporterait une certaine sécurité, face à certaines craintes des parents, des réticences à la mixité… Plus je travaillais sur ce dossier plus j’étais sur du singulier. Ça dépend des familles, de l’imaginaire personnel, de ce qui est arrivé aux parents, de l’histoire familiale. Ce n’est pas un groupe homogène du tout. Il y a des aires où les familles vont rester plus de temps que d’autres et à l’intérieur d’une même aire il y a aussi des regroupements.
Quelle est la volonté des pouvoirs publics face à la scolarisation de ces enfants-là ?
Un gros travail a été fait par le ministère pour fluidifier la scolarisation de ces jeunes et rendre l’école plus inclusive. On voit une vraie volonté de clarifier la scolarisation de ces jeunes. Il faudrait pouvoir mesurer les effets mais ce qui bloque un peu c’est au niveau des mairies et de l’accompagnement des familles. Je fais l’hypothèse qu’il y aurait besoin de travailler à ce niveau-là et de donner la parole aux familles. Il faudrait arriver à percevoir ce que les familles attendent de l’école, on est sur du particulier. Un gros travail d’accessibilité a été fait par le politique, maintenant il faudrait également voir comment c’est décliné sur les territoires. Il y a des académies très engagées et impliquées sur ces problématiques et d’autres où c’est plus compliqué.
Propos recueillis par Eva Battut