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Elitisme | Cas d'écoles
Les écoles alternatives condamnées à l’entre-soi ?

© Anna Samoylova

Les écoles alternatives connaissent un certain effet de mode chez les parents d’élèves. Une instruction qui se fait souvent dans des écoles privées hors contrat aux coûts élevés. Quitte à instaurer un entre-soi…

Les enquêtes Pisa de 2016 confirment qu’il y a une reproduction des inégalités dans l’école traditionnelle française. Une confirmation des travaux des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (La reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement) qui avaient démontré, dès 1970 que l’école joue un rôle de légitimation et de reproduction des inégalités sociales. Mais qu’en est-il des écoles alternatives ?

Il semblerait qu’elles ne dérogent pas à cette règle, bien au contraire. Les écoles privées hors contrat étant financées en grande partie par des frais de scolarité parfois très élevés, une sélection économique s’opère à l’entrée, tant et si bien qu’il y a, semble-t-il, un manque de mixité sociale. C’est ce que nous confirme Emmanuelle Dufresne, enseignante à l’école La Découverte de Castanet-Tolosan qui propose un mélange des pédagogies Montessori et Freinet. « Fatalement, ça s’adresse à des gens qui peuvent se permettre de payer ces coûts. » Caroline Le Calvez, la directrice de l’école tempère, « on a tous les quotients familiaux représentés, aussi bien des gens qui gagnent vraiment pas grand-chose mais qui ont quand même fait le choix de mettre leur enfant ici parce que c’est leur priorité, que des gens qui explosent le quotient familial maximum. »

Bruno Fondeville, chercheur en sciences de l’éducation à l’université Toulouse Jean-Jaurès confirme que « peut exister l’entre-soi de classes moyennes qui se retrouvent autour de certaines valeurs et vont scolariser leurs enfants dans une école de l’entre-soi social. » La « mode Montessori » ne s’arrête d’ailleurs pas aux classes moyennes, mais s’est propagée aux élites. Le fils d’Alain Ducasse est dans une école Montessori parisienne, alors que le prince George y a fait son entrée il y a 2 ans. C’est ce que constatent les journalistes d’investigation Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion dans leur enquête Fils et filles de (La Découverte, 2015), un nouvel attrait des élites pour ces méthodes alternatives.

Pourtant aux origines, la méthode Montessori était destinée aux enfants malades, handicapés et défavorisés. En 1898, au congrès de Turin, Maria Montessori déclare au sujet d’enfants malades mentaux, « ils ne sont pas des hors-la-loi, ils ont des droits. Ils ont droit à tous les bienfaits de l’instruction. Nous devons permettre à ces malheureux de se réintégrer dans la société, de conquérir leur place et leur indépendance dans un monde civilisé retrouvant ainsi leur dignité d’être humain ».

© Ben Mullins

Pour ce qui est de l’enseignement Freinet, Marie-Laure Viaud, maître de conférences en sciences de l’éducation rappelle « qu’historiquement les enseignants du mouvement Freinet ont toujours dit qu’ils avaient un projet politique qui était l’émancipation des enfants des milieux populaires. S’ils pratiquent la pédagogie Freinet, c’est pour que les enfants de tous les milieux, et particulièrement des milieux populaires apprennent à développer leur esprit critique et à travailler de manière coopérative. Ils développent les outils qui vont peut-être leur permettre de prendre une part active dans la transformation de la société vers un monde meilleur. Il y a cette idée d’émancipation de l’individu. On fait ça pour développer des citoyens qui, pour Freinet, n’iront pas sur le champs de bataille en 14-18. »

Des frais de scolarité qui varient selon les pédagogies…

Les frais de scolarité varient beaucoup entre les écoles. Ces frais dépendent tout d’abord si les écoles sont sous contrat avec l’Etat. La majorité des écoles Montessori sont « hors contrat », tout comme la totalité des écoles Steiner. La prise en charge notamment des salaires des enseignants incombe donc directement à l’établissement privé. A l’école Pleine Nature inspirée des Forest School, les tarifs sont de 180€ par mois. Dans l’école La Découverte de Castanet-Tolosan, ils sont deux fois plus élevés, s’échelonnant entre 350 et 450€/mois en fonction du quotient familial des parents. Sur Paris, les frais de scolarité des écoles Montessori varient du simple au double, voire au triple avec la province. Par exemple, à l’Ecole Montessori Internationale située dans le cinquième arrondissement, près des jardins du Luxembourg, une année est facturée 10 890€ par an (soit quasiment 1100€/mois).

Bien qu’il existe également des écoles Freinet privées, la mise en place de la pédagogie Freinet tranche avec les autres pédagogies : 3000 à 5000 instituteurs travaillent avec cette pédagogie dans leurs classes du public. Et 22 écoles publiques mettent en place la pédagogie Freinet. Catherine Chabrun, chargée de mission « droits de l’enfant et relations extérieures » au sein de l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne met en avant cette ouverture sur les classes populaires : « Ce qui diffère des autres pédagogies, c’est d’être dans le public et les ZEP pour être à la portée de tous les enfants, « des enfants du peuple » comme disait Célestin Freinet. »

Françoise Candelier, professeur des écoles ayant enseigné 30 ans dans l’Education nationale a fondé en 2009 l’école du Blanc Mesnil désormais située à Croix (59). « Ces écoles de type Montessori ont aménagé les choses pour satisfaire un objectif financier. Elles ont un peu trahi la pensée réelle de Maria Montessori. Je m’en méfie et je refuse l’étiquette, même si je m’inspire énormément des méthodes Montessori », glisse-t-elle. Rémi Bonasio, chercheur en sciences de l’éducation à l’université Toulouse Jean-Jaurès constate qu’il y a « un nombre considérable d’ouverture d’écoles hors contrat et notamment Montessori. C’est un succès au premier abord, mais il y a énormément de parents qui sont déçus, et on peut comprendre pourquoi. On leur a promis monts et merveilles pour leur enfant qui avait des problèmes dans l’institution Education Nationale, et ces problèmes ne se résolvent pas. »

… légitimés par les coûts de fonctionnement ?

Si certaines écoles Montessori ont des frais de scolarité exorbitants, pour beaucoup d’entre elles, les frais de scolarité sont là simplement pour parer aux dépenses. Dans le cadre de l’école la Découverte par exemple, Emmanuelle Dufresne explique : « en même temps on n’a pas le choix, les frais ont été réévalués parce qu’on se rendait compte que ça ne fonctionnait pas. L’école était déficitaire. Donc on a essayé de calculer au plus juste. Les salaires des enseignants sont bien moindres par rapport à ceux touchés dans l’Education Nationale. On est à minima de tous les coûts possibles. Après, si un jour l’école passe sous contrat, on pourra toucher une aide qui permettrait de baisser les frais de scolarité et d’avoir une mixité sociale plus importante. Ce n’est pas la volonté de favoriser les classes sociales qui peuvent se le permettre, mais on n’a pas trop le choix, si on veut proposer ce type de fonctionnement.»

© Tom Binet

Concernant les écoles Montessori, les frais s’expliquent aussi par un matériel très onéreux qui peut justifier la différence de frais de scolarité avec d’autres écoles alternatives. Ce matériel constitue une véritable barrière à l’entrée des pédagogies Montessori dans le public, bien que certains professeurs essaient tant bien que mal d’équiper leurs classes à l’aide de levées de fonds, les aides publiques étant dérisoires.

L’entre soi, fruit d’un individualisme exacerbé ?

Si le XXIème siècle est marqué par un profond individualisme, il n’y a pas de raison pour que celui-ci ne se répercute pas à l’école. Pour Bruno Fondeville, chercheur lui aussi à l’université Jean Jaurès, « il faut le replacer dans un contexte beaucoup plus global, d’effondrement des institutions. Ce n’est d’ailleurs pas que l’école qui amène les gens à être de plus en plus dans des logiques consuméristes. Ça veut dire qu’au nom de mes aspirations, j’exige que les institutions scolaires répondent à mes valeurs, à mes préoccupations. » D’ailleurs, il n’est pas anodin que la pédagogie Montessori, axée sur l’individu, ait le plus le vent en poupe. Son collègue Rémi Bonasio reprend  : « on reconnait de plus en plus l’enfant comme étant une entité unique fondamentale, et les parents veulent que l’école réponde aux besoins de leur propre enfant, là où effectivement avant, on se posait peut être moins ces questions-là au profit de dimensions peut être un peu plus collectives. C’est ce qui explique qu’on veuille le meilleur pour son enfant, et que l’école doit y répondre ».

© Annie Spratt

Des choix individualistes qui rentrent quelque peu en contradiction avec l’esprit de ces pédagogies. Par exemple, la pédagogie Freinet permet d’aiguiser un esprit critique avec des méthodes profondément démocratiques (prise de décision des adultes et enfants dans des conseils d’école par vote à main levée, réunions plénières avec vote par consentement entre équipe pédagogique et parents – si une personne n’est pas d’accord, elle motive son choix, tant qu’il n’y a pas d’accord unanime, la décision n’est pas validée), met en avant le collectif, etc..  L’absence de notation et donc d’une sociabilisation avec l’idée de concurrence dès le plus jeune âge prime dans les pédagogies alternatives Montessori, Freinet ou Steiner, ainsi que dans les « écoles démocratiques », à la différence de l’école publique traditionnelle.

La faute de l’Etat ?

Pour Marie-Laure Viaud, s’il y a création d’un entre-soi, c’est principalement à cause de l’Education Nationale qui refuse de donner les contrats nécessaires pour payer les professeurs. Rahel Scheckel, jardinière d’enfants à l’école Steiner Chant’Arize de Campagne-sur-Arize (09) le regrette : « Ça fait quelques années qu’on fait une demande mais l’Etat ne nous donne pas le contrat. […] Les frais de scolarité permettent de payer en partie les professeurs, le matériel pédagogique et les locaux mais souvent ça ne paie pas tout donc on fait beaucoup d’actions pour récolter des fonds. ». Faute d’aides de l’Etat, certains organismes prennent le relais pour aider ces écoles. Diane Roy est responsable de communication à la Fondation pour l’école, destinée à venir en aide aux écoles hors contrat. Celle-ci « apporte des subventions aux 300 écoles [qu’elle soutient] en fonction des projets qui nous paraissent pertinents (rénover des locaux, former des professeurs…). On fait très régulièrement des appels à la bienfaisance, on fonctionne avec des dons privés. »

Il semblerait en effet que l’Etat rechigne à donner les contrats à certaines écoles alternatives qui ont pourtant des modes de fonctionnement et de pédagogie compatibles avec l’attribution du précieux sésame (soumission aux règles et aux programmes de l’enseignement public en matière d’enseignement, notamment). C’est en tout cas le sens de la préconisation qui a été faite par les parlementaires Anne Brugnera, députée du Rhône (La République en Marche), et George Pau-Langevin, députée de Paris (Nouvelle Gauche), auteures d’une mission flash parlementaire sur la déscolarisation rendue en juillet 2018. « Dans le cadre du chantier ouvert par le ministre de l’Éducation Nationale sur les nouvelles méthodes pédagogiques, la contractualisation avec les écoles alternatives (Montessori, etc.) qui ont fait leurs preuves pour mieux intégrer les différents profils d’enfants devrait être envisagée, comme le soutien à la création d’établissements scolaires publics innovants (ESPI). » Ce serait un premier pas afin de renforcer la mixité sociale de ces établissements privés.

Florian Cauquil avec Pauline Ducousso
Marine Clerc et Elisa Rullaud