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Débat | Cas d'écoles

École à la maison ou
école républicaine?

 © Aaron Burden 

L’instruction en famille ou “homeschooling” est une pratique minoritaire mais en augmentation en France. Signe d’une défiance envers l’école républicaine ? Pour Cas d’écoles, Claude Touchefeu, femme politique et enseignante retraitée, et Alix Delehelle de l’association Libres d’apprendre et d’instruire autrement (LAIA) livrent leur point de vue.

 Les enfants ont besoin de sortir de la famille pour apprendre des choses nouvelles et il y a un besoin de distance affective.

Claude Touchefeu

Claude Touchefeu a fait sa carrière comme professeure des écoles principalement dans des établissements classés réseau d’éducation prioritaire (REP). Elue au conseil municipal de la ville de Toulouse au sein de la majorité de Pierre Cohen (PS), elle est désormais dans l’opposition. Retraitée depuis la rentrée dernière, Claude Touchefeu est une fidèle défenseure de l’école républicaine.

Je trouve que l’école en France aujourd’hui ne favorise pas l’épanouissement, la créativité des enfants et leur ouverture au monde.

Alix Delehelle

Alix Delehelle est mère de famille, elle pratique l’instruction en famille et est membre de l’assemblée collégiale de LAIA (libres d’apprendre et d’instruire autrement), une association de soutien à l’instruction en famille. Aucun de ses enfants n’est allé à l’école, elle nous explique son choix, sa vision de l’école républicaine et son engagement au sein de l’association.

Eva Battut et Florian Cauquil

L’école à la maison : comment ça marche ? 

C'est le nombre d'enfants qui suivent une instruction à la maison sur les 8,2 millions soumis à l'obligation scolaire, soit 0,3% pour l'année 2014/2015.

L’instruction en famille est un droit en France. Qu’il s’agisse d’un choix de la famille ou de l’impossibilité pour l’enfant de fréquenter les établissements scolaires, l’école à la maison concerne un nombre d’enfants, certes en augmentation, mais qui reste minime. Quelles sont les démarches à adopter pour instruire son enfant à domicile ? Comment s’opère le contrôle de la part de l’inspection académique ?

Depuis la loi Jules Ferry du 28 mars 1882 qui rend l’enseignement primaire obligatoire, l’instruction est libre c’est-à-dire qu’elle peut être donnée dans plusieurs cadres : dans un établissement public ou privé, ou au sein de la famille, par les parents ou une autre personne de son choix. Si le droit français ne prévoit pas d’obligation de scolarisation, il instaure en revanche une obligation d’instruction entre 6 et 16 ans pour tous les enfants qui vivent sur le territoire, qu’ils soient français ou étrangers.

Une mission flash parlementaire sur la « déscolarisation » diligentée par la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée Nationale a été rendue le 18 juillet dernier. Elle faisait suite à une inquiétude sur l’instruction à domicile, dans certains cas « utilisée comme prétexte pour scolariser des enfants dans des écoles de fait ». Celle-ci indique que « la déscolarisation ne concernait qu’un nombre minime d’enfants, à savoir 24 878 enfants sur 8,2 millions d’enfants soumis à l’obligation scolaire, soit environ 0,3 % pour l’année 2014-2015. »

Il convient en effet, de relativiser le phénomène de déscolarisation, d’autant que « si on exclut les élèves instruits à domicile par le biais du Centre national d’enseignement à distance (Cned) en scolarité réglementée – possibilité qui n’est ouverte que dans un nombre très limité de cas (sportifs de haut niveau, artistes) et sur autorisation expresse de l’inspecteur d’académie – seuls 0,12 % des enfants d’âge scolaire seraient réellement instruits dans leur famille. »

Une augmentation du « homeschooling » à relativiser

L’école à la maison a lieu dans deux cas de figure. Le premier provient d’un choix de la famille. Défiance à l’égard de l’institution, respect du rythme de l’enfant, mode et choix de vie des familles, raisons idéologiques, philosophiques et religieuses, choix pédagogiques sont les principales raisons invoquées par l’Inspection générale de l’Éducation Nationale.

La deuxième option est contrainte : l’impossibilité d’inscrire les enfants dans un établissement scolaire. D’après la direction de l’information légale et administrative, « dans ces cas, l’enfant est inscrit gratuitement au Centre national d’enseignement à distance (Cned) en classe à inscription réglementée, après avis favorable du directeur académique des services départementaux de l’éducation nationale (Dasen). »

C’est le cas pour les enfants qui pratiquent une activité sportive ou une activité artistique non conciliable avec une scolarité classique, mais aussi pour des enfants en situation de handicap, ayant des parents itinérants, ou vivant dans un lieu trop éloigné d’une école.

Depuis quelques années une hausse de l’instruction à la maison hors Cned est observable. Le total d’enfants instruits en « homeschooling » a augmenté de 32,3% en 4 ans (depuis 2010-2011). La mission flash parlementaire relativise toutefois un accroissement qui « doit nous interpeller, sans devenir un sujet d’alarme. Il semblerait en effet qu’il soit pour partie imputable à l’intérêt renouvelé des pouvoirs publics pour la question de l’instruction à domicile depuis quelques années, qui a entraîné une amélioration de la mesure du phénomène. »

Par ailleurs, le recensement des enfants déscolarisés apparaît imprécis. « La première de nos préoccupations doit être d’améliorer le recensement et le suivi des enfants qui ne sont pas scolarisés », développent les rapporteures dans leurs propositions.

 © Sharon Mccutcheon 

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C'est l'augmentation des enfants instruits en "homeschooling" entre 2010/2011 et 2014/2015.

Aucun diplôme spécifique n’est nécessaire pour l’instruction de l’enfant en famille. En revanche, d’après la Direction de l’information légale et administrative, l’enfant instruit en famille doit être « capable de maîtriser l’ensemble des exigences du socle commun à ses 16 ans. L’instruction ne doit pas nécessairement respecter les programmes de l’Education Nationale pour chaque niveau, la famille choisissant librement les moyens et méthodes d’atteindre ce niveau. De plus, l’enfant n’est pas soumis aux évaluations nationales de CE1 et de CM2. »

En revanche, suite aux attentats de 2015, par crainte de radicalisation, un renforcement des prérogatives s’est opéré : les apprentissages des enfants doivent correspondre à chaque fin de cycle (CE2, 6ème, 3ème) aux programmes de l’éducation nationale. Cette décision est dénoncée par de nombreux parents pratiquant le « homeschooling ».

C’est le cas d’Alix Delehelle, coprésidente de l’association Libres d’apprendre et d’instruire autrement (LAIA) : « On a l’impression d’être un dégât collatéral de la lutte contre les sectes, contre la radicalisation, et c’est un peu dommage parce que les familles qui instruisent leurs enfants font preuve de beaucoup d’innovations pédagogiques. »

Quelles démarches adopter pour les parents et quelles modalités de contrôle ?

Les parents doivent prévenir le maire et le directeur académique dans les huit jours qui suivent le choix de l’instruction. La démarche doit être faite chaque année. Une absence de déclaration constitue une infraction pénale qui peut être sanctionnée par une amende pouvant atteindre les 1500€. Le signalement auprès du procureur de la République doit être fait par l’autorité municipale ou académique qui en a connaissance. Une information préoccupante pour enfant en danger peut alors être déclenchée.

Il y a deux contrôles. Le premier vise à établir les raisons invoquées par la famille et la compatibilité de cette instruction avec l’état de santé et les conditions de vie de l’enfant. C’est à la charge du maire qui doit conduire une enquête sur chaque enfant instruit en famille au sein de sa commune. Celle-ci doit être opérée dès la première année d’instruction à la maison et reconduite tous les deux ans. Les résultats sont ensuite communiqués à l’inspecteur d’académie.  

Le deuxième concerne le contrôle de l’instruction. En théorie, un inspecteur d’académie effectue un contrôle individuel de l’enfant au moins une fois par an. D’après Mmes Anne Brugnera, députée du Rhône (La République en Marche), et George Pau-Langevin, députée de Paris (Nouvelle Gauche), rapporteures de la mission flash parlementaire : « devant l’augmentation du nombre d’enfants instruits à domicile, le ministère a décidé en 2016 d’augmenter la fréquence des contrôles. »

Dans la pratique donc, « si les contrôles ne sont toujours pas réalisés chaque année pour tous les enfants, 75 % d’entre eux sont convoqués et les deux tiers des enfants instruits à domicile sont effectivement contrôlés chaque année. »

La famille doit être informée par écrit de la date précise, du lieu et des fonctions de la personne qui sera chargée du contrôle. Le contrôle est individualisé et spécifique à chaque enfant. Il se fait en trois étapes : un entretien avec les parents, qui permet à ces derniers de préciser leurs méthodes pédagogiques ; les productions réalisées par les enfants sont ensuite présentées à l’inspecteur ; enfin ce dernier demande la réalisation d’exercices auprès de l’enfant. Une circulaire de 2017 prévoit que le bilan du contrôle soit nécessairement envoyé aux parents.

D’après la Direction de l’information légale et administrative, « si l’inspecteur juge les résultats du contrôle insuffisants, un second contrôle est prévu dans des délais suffisants pour que la famille améliore la situation (un mois minimum après l’envoi des premiers résultats). Si les résultats du second contrôle sont également jugés insuffisants, le Dasen (Directeur académique adjoint des services de l’Éducation nationale) impose aux parents d’inscrire l’enfant dans un établissement scolaire (public ou privé) dans les 15 jours qui suivent la notification. Les parents doivent communiquer au maire les coordonnées de cet établissement. »

Au cours de l’année 2016-2017, « 7 % des premiers contrôles avaient été jugés insatisfaisants. 83 mises en demeure de scolariser ont été prononcées sur la même période, dont 60 % ont été suivies d’une scolarisation. Pour les 40 % restants, les services de l’Education Nationale ont saisi le procureur de la République », d’après la mission flash parlementaire.

L’extension de la scolarité obligatoire dès 3 ans, annoncée pour la rentrée 2019 par le ministre de l’Education Nationale Jean-Michel Blanquer va poser de nouveaux défis en matière de contrôle de cette instruction à domicile.

Florian Cauquil

Photo : © Hope House Press Leather Diary Studio (Unsplash)